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au bord du lac.

— Quelle raison a pu te tenir si longtemps éloigné de la maison ? demanda Frédéric avec hésitation.

— La meilleure de toutes, l’ennui de dévider des bobines. Le contre-maître s’est aperçu que je n’avais pas grand penchant pour l’atelier ; il a fait son rapport au chef, qui m’a poliment congédié, il y a quinze jours.

— C’était un malheur bien grand, pour nous qui n’avons d’autre ressource que nos bras, mais ce n’était pas une cause suffisante pour disparaître.

— J’avais peur que la bonne femme Ridler, me sachant sans ouvrage, ne voulût pas me recevoir.

— Peut-être à ma prière eût-elle consenti à te garder. D’ailleurs, tu le sais, aussi longtemps que j’aurai un morceau de pain et un lit tu en pourras toujours demander ta part.

— Oui, mais je m’attendais aussi à avoir ma part de sermons, et je n’en veux plus. D’ailleurs, j’étais bien aise de voir un peu de pays. J’ai voulu faire une promenade en Suisse ; on dit que c’est si beau et qu’on y vit pour rien ! c’était tentant, vu ma position. Mais ces montagnards sont des brutes ; quand je leur demandais à manger ils me répondaient que j’étais en âge de gagner ma vie moi-même !… comme si c’était la peine de quitter son pays pour aller travailler ailleurs.

— Je crois bien, répliqua Frédéric d’un ton sérieux, qu’il n’y a pas de pays où l’on soit dispensé de travailler, et je ne regarde pas cette nécessité comme un