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Page:Souvestre - Au bord du lac, 1852.djvu/38

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l’esclave.

peine ; il les comptait, les faisait sonner l’un contre l’autre : le bruit de cet argent le réjouissait comme un avare ; à chaque pièce tombant dans le vase d’argile qui renfermait son trésor, il lui semblait entendre se briser un des anneaux de la chaîne qui retenait sa mère et lui en captivité.

Les habitudes laborieuses d’Arvins ne lui laissaient le temps de se livrer ni aux causeries, ni aux débauches de ses compagnons de captivité ; aussi, quoique vivant au milieu d’eux, leur resta-t-il étranger.

Un seul s’était rapproché de lui et semblait s’intéresser à ses efforts. C’était un Arménien à la figure douce et grave, que les autres esclaves tournaient en railleries à cause de sa résignation. Nafel était chargé de la copie des manuscrits dont Corvinus enrichissait sa bibliothèque. Son instruction était profonde et variée, bien qu’à voir sa modestie timide, on l’eût pris pour le plus simple des hommes. Il pouvait réciter, sans s’arrêter une seule fois, les plus beaux passages des philosophes, des orateurs et des poëtes de la Grèce ; mais il préférait à tous, les écrits de quelques juifs inconnus, qu’il avait copiés pour son usage, et qu’on lui voyait relire sans cesse.

La fière patience d’Arvins et son activité persistante l’avaient frappé ; il chercha à gagner la confiance du jeune Armoricain. Celui-ci repoussa d’abord les avances du vieillard ; mais Nafel ne se rebuta point, et Arvins finit par se laisser gagner à son affectueuse douceur.