Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/112

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clara qu’elle voulait conduire Marthe aux nouvelles galeries du Bon Pasteur.

C’était un magasin, où se trouvaient réunies, pour l’acheteur, toutes les productions du monde connu. Il couvrait une surface de deux cents hectares, et occupait douze mille commis. Outre la ligne d’omnibus desservant l’intérieur. On avait ménagé un avançage de voitures à la tête de chaque comptoir. Les étoffes, roulées et déroulées par d’immenses cylindres, passaient devant les yeux de la foule, comme ces toiles mobiles qui représentent les cascades à l’Opéra : des montres gigantesques, garnies de bijoux et d’orfèvreries, tournaient partout sur elles-mêmes ; des tablettes couvertes de cristaux, d’ivoires sculptés, de fantaisies précieuses, allaient et venaient sans cesse sur leurs rails de cuivre, et semblaient appeler les acheteurs ; enfin, au milieu de tout cet éclat, des valets en livrée circulaient chargés de plateaux, et offraient des rafraîchissements.

Vous le voyez, dit M. Atout, le commerce s’est agrandi comme tout le reste : ce n’est plus qu’une banque perfectionnée. Les profits, qui autrefois faisaient vivre médiocrement cent mille familles, ont créé dix existences royales auxquelles tout est possible. Votre temps était encore celui des petits marchands. En sortant d’apprentissage on se mariait. On ouvrait boutique avec son amour et son courage ! Mais, de nos jours, la bonne volonté ne tient plus lieu de capital, et la première condition, pour exercer un commerce, n’est point de le connaître : c’est d’avoir un million !

À ces mots, l’académicien se mit à calculer tout haut, pour Maurice, la valeur des marchandises entassées dans les galeries qu’ils parcouraient, tandis que milady Ennui faisait remarquer à Marthe leur prodigieuse variété.