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Mais quelque rapide qu’eût été le voyage, il avait suffi pour augmenter l’indisposition de madame Atout. À peine arrivée, elle déclara qu’elle se trouvait plus mal et voulait voir un médecin.

L’embarras était de savoir lequel, car les progrès des lumières avaient introduit la division de la main-d’œuvre jusque dans les sciences. Les médecins s’étaient partagé le corps humain, comme un héritage conservé jusqu’alors en indivis. Chacun avait eu son domaine, au delà duquel il ne prétendait rien. À l’un la tête, à l’autre l’estomac, à celui-ci le foie, à celui-là le cœur. Si plusieurs organes étaient attaqués à la fois, on prenait plusieurs médecins ; s’ils l’étaient tous, on en prenait davantage. Chacun traitait de son côté son morceau de maladie, et le patient guérissait par fragments, s’il ne mourait tout d’une pièce.

Comme milady Ennui souffrait surtout de spasmes, on crut devoir appeler le docteur Hypertrophe.

Celui-ci expliqua d’abord que la vie étant entretenue par le sang, et le sang mis en mouvement par le cœur, toute maladie avait nécessairement pour cause un défaut d’équilibre dans les fonctions de ce muscle creux et charnu. Il déclara donc, après avoir examiné la malade, que son malaise provenait d’un afflux pléthorique dans l’oreillette gauche, et lui ordonna un sirop antiphlogistique, dont il était l’inventeur.

Mais à peine fut-il parti, que les douleurs de la malade se déplacèrent ; M. Atout fit aussitôt demander M. le docteur Jecur, spécialement connu pour ses travaux sur les viscères bilio-dispensateurs.

Après avoir examiné milady Ennui, il déclara que le siège de son mal était évidemment dans le foie, viscère glanduleux, destiné à séparer la bile du sang, et qui, étant