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du cœur. Il montrait en même temps à ses trois compagnons des exemples de ces différentes aliénations, classées par ordre comme les familles de plantes d’un herbier.

Dans cette espèce d’exhibition, Maurice s’arrêta devant un homme à l’air calme et souriant.

— Celui-ci, dit le docteur, a été un de nos plus riches commerçants. Malheureusement, tout le monde le croyait dans la plénitude de sa raison, lorsqu’un ancien associé ruiné par son père lui intenta un procès en restitution. Les juges décidèrent en faveur de notre millionnaire ; mais lui-même, éclairé par les débats, refusa les bénéfices de l’arrêt et voulut se dépouiller en faveur de son adversaire. Il a fallu, pour empêcher la restitution, le faire interdire et l’enfermer.

Quant au vieillard qui écrit là-bas, nous ne le connaissons que sous le nom de Père des hommes. Il travaille depuis cinquante ans à un système social d’après lequel chacun serait, ici-bas, rétribué selon ses œuvres. Il prétend que Dieu a donné à toutes les créatures humaines un droit égal au bonheur, et que dans une société chrétienne la misère ne devrait pas être le résultat du hasard, mais la punition du vice. Chaque soir et chaque matin il se met à genoux et répète les mains jointes cette seule prière :

« Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre règne nous arrive, et que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »

L’autorité a jugé une pareille folie dangereuse et me l’a envoyé.

Ils étaient arrivés devant un jeune homme à physionomie pensive et hardie.

— Vous voyez, dit Manomane, un voyageur sans but.