Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/194

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la violence et où les retenait la peur, ports, villes, arsenaux, monuments d’une gloire toujours payée avec leurs larmes ou avec leur sang ! oh ! que de cris de joie sur ces monceaux de débris et de cendre. Ces richesses, cette puissance, cette gloire, c’étaient autant d’anneaux de leur chaîne brisés par la vengeance. Avaient-ils donc un drapeau, eux qui n’avaient pas de droits ? étaient-ils un peuple, eux qui n’étaient pas des hommes ? Ils effaçaient le passé, parce qu’il ne leur rappelait que des souvenirs d’humiliations et de souffrances ; et, quand tout fut à terre, ils dansèrent autour des ruines, comme le sauvage délivré autour du poteau où il a subi ses longues tortures.

Mais à la place de cet édifice détruit, leurs mains inhabiles ne pouvaient rien élever ; les rois de l’Angleterre, en tombant, avaient laissé briser sa couronne ; le vainqueur grossier ne chercha même point à en réunir les débris. Il laissa croître la ronce sur la route déserte ; les glaïeuls sur les canaux infréquentés ; les houx et les aubépines dans les sillons, devenus stériles ; la révolution n’avait point été une réforme, mais seulement une délivrance ; après avoir brisé son licou, la bête de somme était retournée aux forêts. Lorsque Pérégrinus vit les trois royaumes, cette transformation était déjà accomplie. À la place de la race énergique, tenace et hautaine dont le génie avait enchaîné les deux continents dans le sillage de ses vaisseaux, il n’avait plus trouvé qu’un peuple sauvage, vivant de piraterie, toujours en guerre, et mangeant ses prisonniers à défaut du rosbif de la vieille Angleterre… Quelques faibles restes de l’aristocratie proscrite se cachaient encore dans les montagnes, toujours poursuivis par les descendants de John Bull, qui, à défaut de chamois, chassaient aux lords !