Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/196

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et le buste à demi enveloppé par une écharpe bleu de ciel, elle se tenait penchée, effeuillant, d’une main distraite, une fleur cueillie à ses pieds. Une branche arrachée aux haies vives, et chargée de ses graines sauvages, était enroulée à ses cheveux noirs.

En entendant un bruit de pas, elle redressa vivement la tête, rougit à la vue des étrangers, et serra l’écharpe contre ses épaules.

Mais ses yeux, qui s’étaient d’abord baissés, se relevèrent presque aussitôt sur Marthe avec une tendresse timide.

La jeune femme, prise d’une subite sympathie, s’arrêta : il y eut, dans leurs deux regards, qui se parlaient en souriant, un de ces rapides échanges d’émotions qui tiennent lieu d’un long épanchement ; puis, par un mouvement qu’on eût dit involontaire, la jeune fille se leva avec une exclamation confuse, et tendit les mains vers Marthe.

— Sur mon âme, notre belle rêveuse vous fait des avances ! dit Manomane avec une brusquerie un peu adoucie.

— Ah !… il m’a semblé… oui… ses traits m’ont rappelé ma mère ! balbutia la jeune fille, dont les yeux étaient devenus humides.

Marthe prit ses mains, qu’elle serra dans les siennes.

— C’est une distinction rare venant de miss Rêveuse, reprit le médecin avec un sourire ; d’habitude, elle fuit à l’approche des visiteurs.

— Pourquoi leur donnerais-je le triste spectacle de ma folie ? dit la jeune fille doucement, les méchants la raillent, et les bons s’en affligent !

— Mais moi ? demanda Marthe en se penchant vers elle.

— Vous, dit miss Rêveuse avec un regard d’où jaillissaient des flots de confiance et de tendresse… vous me comprendrez !