Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/209

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Nous n’en avons point, répondit Blaguefort.

— Vous avez alors élevé pour eux des asiles.

— Nous avons élevé des poteaux indicateurs. L’argent autrefois consacré à soulager les indigents a été employé à leur annoncer qu’on ne les soulagerait plus. Ils ont beau, désormais, aller devant eux, partout se dresse la fameuse inscription ; La mendicité est défendue dans ce département. De sorte que, de poteaux en poteaux, et de défense en défense, ils arrivent infailliblement à quelque fossé où ils meurent de fatigue et de faim. Vous ne sauriez croire avec quelle rapidité ce procédé a fait disparaître les mendiants. Quelques-uns persistaient pourtant, soutenus par les secours de mauvais citoyens : mais le gouvernement vient de proposer une loi par laquelle l’aumône donnée sera punie de la même peine que l’aumône reçue ! De cette manière, nous espérons extirper des âmes jusqu’aux dernières racines de ce que l’on appelait autrefois la charité. Chacun ne comptant plus sur personne, s’occupera de se secourir lui-même ; on ne demandera plus, parce qu’on aura cessé de donner, et tous les hommes jouiront tranquillement de leur fortune… ou de leur misère ! Mais nous voici au rond-point du cimetière ; avant de partir, ne seriez-vous point curieux de jeter un coup d’œil sur la ville des morts ?

Avertis par cette demande, le jeune homme et sa compagne regardèrent autour d’eux. L’enceinte funèbre était partagée en trois quartiers fermés par des grilles et favorisés d’un concierge. Le plus petit renfermait les morts fameux, dont les tombes ne pouvaient être visitées qu’en compagnie de plusieurs gardiens. Le premier vous montrait les illustres guerriers, recevait son pourboire, et vous remettait à un second gardien, qui, après vous avoir exhibé les grands littéra-