Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Illustrandini avait cet enthousiasme mécanique des artistes brouillons qui, au lieu de boire, avec une émotion silencieuse, aux fontaines sacrées, s’y jettent jusqu’au cou avec de grands cris. Quand il parlait d’art, chaque mot avait dans sa bouche le double de syllabes : c’était comme le tonnerre que l’on entend au théâtre, quelque chose de lourd roulant sur quelque chose de creux. Le lourd, c’était la parole, et le creux, l’esprit.

Cependant ces convulsions à froid réussissaient près de tout le monde ; comme Illustrandini manquait de bon sens, on lui avait supposé de l’imagination.

Un riche mariage acheva de le poser dans le monde, il prit équipage, donna des dîners, des bals, et la célébrité de l’amphitryon finit par déteindre sur l’artiste.

Illustrandini l’avait prévu, car c’était, avant tout, un homme d’affaires. Une fois en possession de la vogue, il se mit à l’exploiter avec l’âpreté furieuse des parvenus. Prospectus vivant de son propre mérite, il allait partout se proposant, pressant, sollicitant. Chaque travail confié à un autre était à ses yeux un vol ; il criait à la perte de l’art, déplorait les beaux siècles de Napoléon et de Louis-Philippe, et ameutait contre son rival malencontreux la troupe de ses complaisants et de ses dupes. Pour lui, tout n’était point assez.

Pendant qu’il faisait éclater l’enthousiasme continu qui lui était familier, Prétorien regardait autour de lui avec distraction. Illustrandini s’arrêta tout à coup.

— Ah ! vous contemplez ma Minerve ? s’écria-t-il.

— Une Minerve ! répéta le journaliste, dont les yeux s’arrêtèrent avec hésitation sur un bloc de terre glaise.

— C’est elle ! répéta Illustrandini avec complaisance ;