Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/301

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parce qu’elles sont restées stériles, trouvent insupportables les enfants des autres. Tant qu’il n’a été recommandé que par son talent, on ne prenait point garde à lui ; il a eu alors recours à la méchanceté, et c’est aujourd’hui un homme célèbre. Rien de plus simple, du reste, que son procédé de critique. Il consiste à ramener trois ou quatre grands noms qu’il oppose perpétuellement aux nouveaux. Entre ses mains, chaque gloire ancienne devient une coupe de ciguë avec laquelle il empoisonne les gloires présentes. Il oppose à tout livre récent une théorie transcendante qui le condamne d’autant plus sûrement qu’il l’a inventée précisément pour cela. Le moyen ne lui en a pas moins réussi, non près du public, qui s’inquiète médiocrement de ses arrêts, mais près des condamnés, qui s’en indignent et les désirent ; car il y a toujours un peu de la femme dans l’artiste. Mieux vaut qu’on parle de lui pour en médire que de se taire. Nos écrivains ressemblent aux marquises du dix-huitième siècle, qui tenaient à honneur d’être déshonorées par Richelieu : c’est à qui subira les rigueurs de maître Mauvais ; on fait queue pour être étranglé par lui.

— Et c’est le seul aristarque contemporain ?

— Nous avons encore ce petit homme jovial et remuant qui s’est fait le Triboulet du public et tâche d’amuser son maître par des épigrammes ou des scandales. Ce métier lui a valu une réputation assaisonnée de quelques coups de canne, qu’il a acceptés comme appoints naturels. Il est même devenu chef d’école, et à son ombre s’est formée une phalange de bouffons quotidiens qui, n’ayant point assez d’esprit pour savoir louer, ont pris le parti de railler toute chose. Ces fonctions d’exécuteur des hautes œuvres de la pensée leur donnent une sorte de valeur ; l’homme qui tient la corde n’est