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L’église nationale était une ancienne salle de criées publiques, repeinte et retapissée pour le compte de la nouvelle religion. Il y avait, à l’entrée, une vielle organisée en guise d’orgues, et un bureau pour les parapluies à la place du bénitier.

L’office venait précisément de commencer et le ministre était à l’autel.

Maurice n’eut pas besoin d’écouter longtemps pour comprendre de quoi il s’agissait, la nouvelle religion consistant spécialement à répéter, dans la langue nationale, ce que les officiants catholiques répètent en latin. Ainsi, au lieu de dire : Introibo ad altare Dei, l’Église nationale disait : Je m’approcherai de l’autel de Dieu. Aux mots : Ite, Missa est, elle substituait ceux-ci : Allez-vous-en, la Messe est finie. Et à la place de : Amen ! elle répétait : Ainsi soit-il !

Après l’office, le prêtre national monta en chaire, et entreprit une longue diatribe contre les ministres des autres religions qui ne savaient point se prêter aux progrès des lumières, et qui continuaient à prier Dieu dans une langue morte. Il prouva, par des citations de Cicéron, de Tacite, de saint Augustin et de Tertullien, que l’on devait renoncer au latin, et finit par une instruction nationale, dans laquelle il développa les avantages de la culture des rutabagas et de l’éducation des vers à soie !

La prédication achevée, la foule, composée d’une trentaine de personnes, se retira, et Maurice allait en faire autant, lorsqu’un ouvrier, qui avait écouté le sermon avec une impatience visible, s’approcha tout à coup du prédicateur qui venait de quitter la chaire, et lui barrant le passage : — Minute, monsieur l’abbé, dit-il, en portant la main à sa tête nue, comme s’il eût voulu saluer avec ses cheveux,