Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/47

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main, et se mit à examiner une longue série de nez, dessinés en regard du tarif. Il hésita quelque temps entre les nez grecs et les nez retroussés ; mais, sur l’observation de M. Blaguefort que ces derniers étaient mal portés, il se décida pour les autres.

L’homme d’affaires tira aussitôt de sa trousse un compas, prit les dimensions de l’espèce de verrue que l’appareil du docteur devait transformer en nez antique, et les inscrivit sur son carnet, avec le nom et l’adresse de l’acheteur.

Les deux époux apprirent ainsi que ce dernier arrivait d’Afrique, où il s’était rendu pour cause d’étisie, et que son embonpoint était le résultat d’un nouveau racahout des Arabes. Il en apportait la recette, vendue à la compagnie de l’Hygiène publique, qui l’avait attaché lui-même à l’entreprise en qualité de prospectus vivant.

Pendant qu’il donnait ces explications, M. Blaguefort avait aperçu à quelques pas un voyageur dont l’air et les cheveux longs semblaient annoncer un ecclésiastique. Il chercha vivement dans sa trousse des échantillons de reliques, de chapelets, de médailles, et, s’approchant d’un air souriant et modeste :

« Je ne crois pas me tromper, dit-il, en me permettant de supposer que monsieur a reçu l’ordination.

— En effet, répliqua le voyageur.

— J’en étais sûr, reprit Blaguefort avec onction ; quand on approche les saints, il y a une voix intérieure qui vous avertit ! Mais, puisque la Providence m’a fait rencontrer monsieur, j’ose espérer qu’il me permettra de lui offrir quelques objets destinés à l’édification des fidèles : ad majorem Dei gloriam. »