Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/56

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cédé, lorsqu’il fut interrompu par le bruit d’une querelle. C’était le gros voyageur, au nez microscopique, que le gendarme refusait de reconnaître dans le portrait-passe-port, qui le représentait maigre et fluet. Le petit homme alléguait en vain l’action du nouveau racahout auquel il devait cet accroissement rapide ; l’agent de la force publique, impassible comme la stupidité, déclarait ne pouvoir livrer passage qu’à l’original du portrait ! La difficulté fut soumise à un contrôleur, qui en déféra à un vérificateur, lequel la porta à un directeur. Celui-ci se consulta longtemps, revit celles des trente-trois mille ordonnances qui réglaient la matière, et décida enfin que le gros homme serait remis à des dégraisseurs-jurés, qui, après avoir prêté serment, s’occuperaient de le ramener à un état dans lequel on pourrait constater son identité. Le prospectus vivant s’écria en vain que, s’il maigrissait, sa position sociale se trouvait perdue ; qu’il vivait de son obésité, comme d’autres de leur bonne réputation ; le directeur lui répondit que la loi ne s’inquiétait point de ces misères, et que son premier but était de protéger la société en général, sans s’occuper de chacun de ses membres en particulier.

Les deux époux laissèrent le voyageur au racahout dans cet embarras, et arrivèrent, avec M. Atout, à la seconde enceinte, où les attendaient les commis de l’octroi.

Eux aussi avaient suivi les progrès de la civilisation en portant jusqu’à la perfection leurs moyens d’examen et de recherche. Grâce à leurs ingénieuses imaginations, la fraude était devenue impossible à faire par tout autre que par eux.