Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bertaude se retira sans rien dire, mais elle ne reparut plus, au grand désespoir d’Yvonnette, qui sentait que cette fuite confirmait les soupçons. Enfin le jour du mariage arriva. La jeune fille parée et tremblante fut conduite jusqu’à la chapelle, dans le carrosse de madame de Villers. Comme elle en descendait sous le porche, elle se trouva entourée de mendiants qui venaient, selon l’usage, apporter leurs souhaits, en sollicitant une aumône. Tout à coup ses regards tombèrent sur une vieille femme agenouillée… Sa quenouille et son fuseau suffisaient pour la faire reconnaître : c’était la vieille servante, c’était Bertaude !

Elle courut à elle, prit ses mains, et lui demanda ce qu’elle faisait là.

« Ce que j’ai fait pendant neuf années, » répondit la vieille femme, qui ne put retenir ses larmes.

Et voyant M. de Boutteville, qui était accouru

« Oui, continua-t-elle, voilà tout le secret dont on a tourmenté votre fiancé. Après vous avoir déposée au couvent, je me suis mise à parcourir à pied la Normandie, filant le long des routes et demandant au nom de Dieu. Mon travail me rapportait peu de chose, c’était pour moi ; l’aumône rapportait davantage, c’était pour vous ! Mais il ne faut point que votre mari rougisse de ce que j’ai fait : le don accordé au nom de Dieu ne peut être une honte pour personne. Le bon cœur de tous les hommes vous a soutenue quand vous étiez petite ; maintenant que vous voilà grande, le bon cœur d’un seul homme vous rendra heureuse. J’ai fini de mendier aujourd’hui ; car, dès que vous n’avez plus besoin de rien, je n’ai rien à demander. »