Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/64

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sait pour Yvonnette ; à toutes les questions elle se contentait de sourire en répondant :

« Dieu a une épargne pour les orphelins. »

Cependant l’enfant devint une jeune fille, si savante, si sage et si belle, qu’il n’était bruit d’autre chose dans tout le Bessin. Les plus grandes dames du pays voulaient la connaître, et venaient la visiter au parloir du couvent. Les poètes normands lui adressaient des vers, les jeunes gentilshommes en tombaient amoureux et portaient ses couleurs ; enfin il se trouva une foule de gens qui se déclarèrent ses parents ou ses alliés et qui en apportèrent les preuves.

Madame de Villers, qui était du nombre, exigea même que la jeune fille vînt passer quelques jours à son château.

Ce fut là qu’Yvonnette rencontra le sieur de Boutteville, un des plus riches seigneurs et des plus accomplis du royaume. Il devint si éperdument amoureux de la jeune fille qu’il la demanda en mariage, et Yvonnette, heureuse de sa recherche, songeait aux moyens de la faire connaître à Bertaude, lorsque celle-ci se présenta avec une douzaine de marchands. Elle n’avait point voulu que sa jeune maîtresse se mariât comme une déshéritée, et elle lui apportait un trousseau complet. Le sieur de Boutteville, qui arriva comme on était occupé à l’étaler devant Y’vonnette, ne parut point partager la joie de la jeune fille. On lui avait déjà parlé des grosses sommes fournies par la vieille servante, en exprimant des doutes sur leur origine ; il craignait que cette générosité ne cachât quelque secret honteux, et il ne put s’empêcher de le laisser deviner.