Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/79

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stant, milady se rappela le fils qu’elle avait en nourrice et déclara qu’elle voulait le voir.

Marthe appuya vivement sa demande, car l’instinct de mère avait devancé chez elle la maternité. La vue d’un enfant lui causait toujours une joie attendrie. Elle ne pouvait entendre ses frais gazouillements sans s’approcher pour lui ouvrir les bras, et, à peine l’avait-elle pressé sur son cœur qu’elle se sentait saisie d’une sorte de transport caressant. Elle l’appuyait à son épaule, posait une joue sur sa petite tête bouclée, le berçait en chantant ; et, si l’enfant, cédant à ses caresses, s’endormait, elle-même fermait bientôt les yeux, et, le cœur gonflé d’une joyeuse illusion, rêvait qu’elle était sa mère !

Que de fois cette hallucination l’avait subjuguée ! Que de fois elle avait vu, dans ces songes éveillés, toutes les fantaisies de son espérance se traduire en vivantes images ! C’était d’abord l’enfant folâtre pendu à l’escarpolette des bois, ou courant avec sa chèvre docile dans les herbes fleuries ; puis la pensionnaire déjà découronnée des grâces du premier âge, sans que celles du second fussent encore écloses ; enfin, la grande et belle jeune fille qui s’arrêtait rêveuse aux bords de la vie, comme devant une mer sans limites ! Que de secrets arrachés à cette rêverie ! que de traces de larmes découvertes sous un baiser ! que de consolations données et reçues ! Charmant retour d’émotions oubliées ! douce reprise du roman de la jeunesse qu’une autre recommence sous l’abri de notre amour ! Qu’importe que la vie décline en nous, si elle renaît dans notre second nous-même ? Qui hérite de notre sang et de notre âme ne doit-il pas hériter de