Page:Spaak - À Damme en Flandre.djvu/108

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Oui, quand j’ai vu sa main s’emparer de la vôtre
Et que pas un regard de vos yeux n’a trahi
Qu’il n’était que le maître à qui l’on obéit,
Pouvais-je supporter encor leurs cris joyeux ?

GERTRUDE, douloureusement,

Ah ! Comme vous avez mal regardé mes yeux !…

(Ils se taisent tous deux, puis elle, la voix brisée)

Voilà… Vous m’en voulez toujours ?… Vous m’en voulez ?…

PIERRE, sourdement, avec un geste de colère,

Ainsi, tout mon bonheur, c’est lui qui l’a volé !
Et vous me demandez, en redoutant l’aveu
De ma douleur, si mon cœur meurtri vous en veut ?…
Eh bien, ce cœur déborde d’une joie immense !
Et c’est en moi tout un bonheur qui recommence,
Car, de ce jour cruel, tout à coup transformé,
Je retiens seulement que vous m’avez aimé !
Vous m’aimiez ! Et mon cœur ne se doutait de rien !…
Vous m’aimiez ! Et je suis parti !… Je me souviens…
C’était une limpide et divine soirée…
Mais mon âme était lourde et si désespérée,
Que j’allais, comme un fou, sans voir autour de moi ;
Pourtant, près du vieux pont, pour la dernière fois,
J’ai longtemps regardé l’horizon coutumier,
Puis brusquement je suis parti… et vous m’aimiez !

(Il cache son visage dans ses mains)