Page:Spaak - Kaatje, préf. Verhaeren, 1908.djvu/155

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Et pourtant, je fus presque joyeux, ce matin,
De voir, là, flamboyer tout à coup, le satin,
La soie et le velours de tes tulipes d’ocre
Et de pourpre, qui font les autres fleurs médiocres !
Mes yeux les admiraient, énergiques, tenaces,
Fières d’avoir bravé l’hiver et ses menaces,
L’humidité, les nuits de gel, et, peu à peu,
Superbement ouvert leur calice de feu !
Leur tige était solide et leurs feuilles épaisses ;
Elles n’avaient ni pâleurs tristes, ni mollesses,
Mais une grâce forte et mâle, et l’on voyait
Qu’éclipsant les iris et les premiers œillets
Par la belle santé de leurs couleurs loyales,
Elles se sentaient fleurs maîtresses et royales !
Pendant un bref instant elles m’ont enivré
Comme enivre ce qui est fort, ce qui est vrai,
Et j’eus l’illusion que mes yeux éblouis,
Avaient vu dans ces fleurs l’âme de mon pays !
N’est-ce pas enfantin ?

KAATJE (souriant)

N’est-ce pas enfantin ? Non, je ne trouve pas !

JEAN

Mon pays ! Mais j’espère encor qu’il est là-bas !
Tu sais bien… Mais comment saurais-tu !

KAATJE

Tu sais bien… Mais comment saurais-tu ! Je devine !
Tout ce qui te fait mal, tout ce qui te chagrine