Page:Spaak - Kaatje, préf. Verhaeren, 1908.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tu rêvais tout un soir, sans que Kaatje parvînt
À te distraire un peu de l’espérer en vain,
Crois-tu que j’ignorais quels chemins avait pris
Ce rêve incessamment refait par ton esprit ?

LE PÈRE

C’est vrai, femme ! C’est effrayant comme on les aime,
N’est-ce pas ? Moi non plus, je ne suis plus moi-même
Depuis deux ans ! L’absence a ceci de cruel
Que le doute est son compagnon continuel.
Les sentiments n’ont plus de nuances légères ;
On ignore, et la moindre crainte s’exagère ;
Tout se grossit, ou se déforme, ou se transpose ;
Et dans l’indifférence impassible des choses,
Revoyant les enfants partis, mais sachant bien
Qu’ils ne sont pas restés tels que l’on s’en souvient,
Et qu’on ne connaît plus que l’image glacée
De leurs traits d’autrefois dans leur vie effacée,
La séparation fait qu’on les aime alors
Comme on les aimerait, hélas, s’ils étaient morts !

LA MÈRE

Ah ! tais-toi ! Tu sais bien que Jean n’a pas changé !
Et puisque nous touchons à la fin des dangers,
Et qu’il va revenir, notre enfant, notre artiste,
Comment peux-tu penser encor des choses tristes !…