Page:Spencer - La Science sociale.djvu/22

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imprévus pour eux. Lorsque les corps en présence ne sont plus des molécules, mais des êtres vivants d’une nature très-complexe, il est facile de prévoir tous les résultats qui vont se produire. Telle est la connexion des phénomènes physiques entre eux, que la vérité diffère souvent beaucoup, même lorsque deux corps seulement sont en jeu, de ce qui semblait probable à première vue : par exemple, il serait naturel de croire que pendant l’été de notre hémisphère nord, la terre est plus près du soleil qu’en hiver, tandis que c’est justement le contraire de la vérité. Dans les phénomènes sociologiques, où les corps en présence sont innombrables, où les forces par lesquelles ils agissent les uns sur les autres sont si multiples, si multiformes et si variables, il va de soi que la probabilité et la réalité se correspondront exactement.

La matière se comporte souvent d’une façon paradoxale. Ainsi, deux liquides froids mêlés l’un à l’autre s’échauffent et se mettent à bouillir, ou bien deux liquides transparents mélangés donnent une matière opaque ; de l’eau versée dans de l’acide sulfureux se congèle sur du fer chaud ; mais ce que nous appelons Esprit n’engendre jamais de résultat paradoxal, particulièrement dans ces masses qui produisent l’action sociale — les effets réels sont toujours ce qu’ils semblaient devoir être.

Il est d’autant plus frappant de voir des hommes ayant reçu une éducation scientifique accepter implicitement des contradictions comme celles que nous venons de signaler, qu’il est surabondamment prouvé que la nature humaine est difficile à manier, que les méthodes en apparence les plus rationnelles ne répondent pas à ce qu’on attend d’elles, et que les meilleurs résultats viennent souvent de systèmes qui choquent le sens commun. La nature humaine individuelle nous offre elle-même de ces anomalies frappantes. Si une besogne inattendue se présente, il semblerait naturel d’en charger un homme de loisir ; mais votre homme de loisir ne trouve jamais le temps, et la personne par qui la chose a le plus de chance d’être faite est un homme occupé. Il semble rationnel que l’écolier qui consacre la plus grande somme de temps à son travail soit le plus fort, et que l’homme devienne éclairé en proportion de la