Page:Spencer - La Science sociale.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Les citations et les réflexions qui précèdent ont pour but de caractériser l’état intellectuel et le caractère de ceux aux yeux de qui il ne peut exister une science sociale proprement dite. Dans les « D. V. » de l’affiche d’un meeting pour les missions, comme dans les phrases des dernières dépêches de l’empereur Guillaume, où des remerciements à Dieu suivent le compte des milliers d’hommes qui ont été massacrés, se révèle une façon de concevoir les affaires humaines, à laquelle l’idée d’une science sociale est absolument étrangère et même antipathique.


Une classe d’esprits voisine, qui n’est pas mieux préparée pour interpréter scientifiquement les phénomènes sociaux, est celle qui ne considère dans le cours de la civilisation que le souvenir des personnages remarquables et de leurs actions. Un de ceux qui ont exposé cette théorie avec le plus d’éclat a écrit ceci : — « Telle que je la conçois, l’histoire universelle, l’histoire de ce que l’homme a accompli dans le monde, est au fond l’histoire des grands hommes qui y ont agi. » C’est dans cette croyance, non pas peut-être nettement formulée, mais implicitement acceptée, que nous sommes presque tous élevés. Examinons d’où elle vient.

Réunis autour du feu de leur campement, des sauvages se racontent les événements de chasse de la journée ; celui d’entre eux qui a donné quelque preuve d’adresse ou d’agilité reçoit le tribut de louanges qui lui est dû. Au retour d’une expédition guerrière, la sagacité du chef, la force et le courage de tel ou tel guerrier, sont les sujets auxquels on revient sans cesse. Lorsque la journée ou les événements récents ne fournissent pas de faits remarquables, on parle des exploits de quelque chef renommé mort récemment, ou bien d’un fondateur légendaire de la tribu ; parfois on se livre à une danse qui représente d’une façon dramatique les victoires rappelées dans les chants. Ces récits, se rapportant à la prospérité et à l’existence même de la tribu, présentent le plus vif intérêt ; nous y trouvons la souche commune de la musique, du drame, de la poésie, de la biographie, de l’histoire et de la littérature en général. La vie sauvage ne fournit guère d’autres événements qui méritent