Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
163
L’INTUITIONNISME

combinaisons ingénieuses, se contentent d’exprimer leur essence merveilleuse, et c’est ce qui les rend si expressives, c’est ce qui fait qu’elles reflètent toutes les combinaisons capricieuses, les entrelacements infinis des choses… Ainsi en est-il du langage. Quiconque a la perception subtile et déliée de son doigter, de sa cadence, de sa nature musicale, quiconque sent la parole intérieure s’organiser et mettre en mouvement les fibres les plus délicates de son être, quiconque laisse sa langue ou sa main suivre ces impulsions, celui-là seul est prophète. »[1] Celui-là seul aussi est un écrivain prédestiné, un « enthousiaste du Verbe » (ein Sprachbegeisterter).

Un autre caractère du symbole poétique c’est son dynamisme magique. — nous dirions aujourd’hui, sa nature « suggestive ». « L’objet de l’art » remarque M. Bergson, « est d’endormir les puissances actives ou plutôt résistantes de notre personnalité et de nous amener ainsi à un état de docilité parfaite où nous réalisons l’idée qu’on nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment exprimé. Dans les procédés de l’art on retrouvera sous une forme atténuée, raffinés et en quelque sorte spiritualisés les procédés par lesquels on obtient ordinairement l’état d’hypnose. »[2] Le rythme joue le rôle de magnétiseur. Par lui « notre âme bercée et endormie s’oublie comme en un rêve pour penser et pour voir avec le poète. » Et c’est sans doute parce qu’il possède à un haut degré ce qu’on pourrait appeler le sentiment rythmique du langage et de l’univers que le poète revêt de cadence et d’harmonie sa pensée. « Les saisons, les heures du jour, la vie, les destinées » — écrivait Novalis, — « tout, chose étrange ! est parfaitement rythmique, métrique, tout obéit à une cadence. Dans les métiers et dans les arts, dans les machines, dans les corps organiques, dans nos occupations familières, — partout le rythme, la mesure, la cadence, la mélodie. Tout ce que nous faisons avec quelque virtuosité

  1. N. S. I, Voir le fragment intitulé « Monolog » p 261-262.
  2. Bergson, Les données immédiates de la conscience, p. 11.