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NOVALIS

brusques métamorphoses de la personnalité, à la suite d’une crise biologique. La vie de Novalis en fournira encore plus d’un exemple. Quoi qu’il en soit, il est dit de lui qu’après quelques mois « un tout autre individu sortit de la chambre du malade. » Un ami de la famille l’appelle maintenant « un garçon éveillé, volontaire, original, spirituel. »[1]

La maison de Wiederstedt offrait peu de ressources à une intelligence précoce. C’était un vieux cloître sécularisé, moitié ferme, moitié manoir. Les hautes galeries, sombres et humides, étaient trop sonores pour des jeux d’enfants, trop froides pour cette génération faible et maladive. Le passé ne s’y renouvelait pas. On sentait partout répandue cette ombre indéfinissable de tristesse, particulière aux intérieurs où s’éternise un deuil. Puis le piétisme avait fait la solitude autour de la maison.

Le maître, toujours en quête d’austérité et de discipline religieuse, venait d’entrer en rapport avec l’ordre des frères Moraves de Herrnhout.[2] Le comte de Zinzendorf, grand réformateur de cet ordre, exerçait une étrange séduction, particulièrement sur la noblesse campagnarde, plus renfermée sur elle-même. Dans les « Années d’apprentissage de Wilhelm Meister » Gœthe rapporte l’histoire d’un comte saxon qui, à la suite d’une frayeur superstitieuse, subitement, comme le baron von Hardenberg, changea sa manière de vivre et n’eut plus d’autre pensée que de ressembler, jusque dans les moindres détails, au comte de Zinzendorf. C’était une piété presque de visionnaire que celui-ci avait mise à la mode. Lui-même à partir de l’âge de cinq ans avait ressenti, disait-il, une « blessure d’amour mystique », tellement vive et pénétrante, que cette expérience décida de sa vie entière et qu’il entrait, à partir de ce jour, en un commerce journalier avec Jésus, son frère et « ami de cœur », ou comme il disait encore, son « camarade de chambre ».

  1. « Nachlese » p. 16.
  2. Peters. — General von Miltitz. — op. cit p. 6. Le baron de Hardenberg se rattacha effctivement à la Communauté.