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ÉDUCATION

avait institué un jeu bizarre, continué pendant des années, où chacun devait représenter un génie, — l’un celui du ciel, l’autre celui de l’eau ou de la terre ; le dimanche lui-même racontait à tous les choses les plus extraordinaires sur ces mystérieuses régions. Ainsi, dès l’enfance, une vie imaginative se superpose chez lui à la vie ordinaire, — une vie de pur rêve, sans doute, mais d’un rêve singulièrement prolongé et intense, qui tend à s’organiser à la manière d’une seconde existence féerique, où l’enfant peut se transporter régulièrement et se retrouver comme une personnalité nouvelle. Il y a là certainement un symptôme significatif pour la psychologie du futur poète mystique.

Cependant le père pensa assurer du même coup l’avenir terrestre et le salut éternel de son fils en le faisant instruire à la colonie morave de Neudietendorf, pour le préparer au ministère évangélique. Si autoritaire que fut le baron, il avait cependant, d’après le témoignage même de Novalis, un grand respect pour la vocation de ses enfants et n’eût certainement pas imposé au jeune Frédéric le choix d’une carrière particulièrement austère, si celui-ci n’avait montré de réelles dispositions. Ce fut la volonté d’un oncle paternel qui en décida autrement, — du « Landcomthur » von Hardenberg, ou, comme on l’appelait dans l’intimité, du « Grand’-Croix ». Il était entiché de gloire et de noblesse, et n’avait lui-même pas d’enfants. Il crut reconnaître chez son jeune neveu les promesses d’un bel avenir, d’où sortirait rehaussé l’éclat du nom. Pour l’arracher à un isolement qu’il jugeait à la longue pernicieux, et à des préoccupations qui ne menaient pas directement aux honneurs éclatants, il le prit chez lui en sa brillante et hospitalière demeure de Lucklum en Brunswick. Novalis a décrit plus tard cet oncle, homme du monde stylé à la française, représentant avec ses étroitesses d’esprit et sa sécheresse de cœur la société de l’ancien régime. Lui non plus ne comprit rien à la Révolution française. « Les nouvelles de France sont horribles, » écrivait-il à son frère, en un allemand émaillé de français, « tu ne te fi-