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Page:Spenlé - Novalis.djvu/238

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NOVALIS

qui consiste à prêter aux concepts abstraits de la philosophie ou des sciences une existence individuelle, mystérieuse, quasi-fantastique, à y voir non pas l’expression de relations abstraites et générales, mais les signes évocateurs d’une réalité occulte, invisible. Et puis surtout il use et abuse de l’analogie. On a vu que c’était là le « trope » préféré de Novalis. Mais où se manifeste clairement ce qu’il y a souvent d’absurde et de faux dans cette habitude intellectuelle, c’est lorsque l’esprit de système s’en mêlant, l’auteur au lieu de laisser à ce procédé littéraire son caractère divinatoire, fuyant et protéiforme, s’efforce de le fixer en des combinaisons stables, poussant à bout les analogies et les agençant entre elles. Il en arrive à se créer une mythologie à son usage personnel, une algèbre mentale, qu’il substitue de plus en plus à la vision directe de la réalité. Si encore dans ces combinaisons bizarres on pouvait ne voir qu’un jeu d’arabesques capricieuses, un divertissement innocent d’ombres chinoises ! Mais c’est que précisément ces arabesques ne sont pas si capricieuses ni ces fantoches aussi ingénus qu’ils voudraient bien paraître. Malgré tout on est averti d’une signification ésotérique et on se trouve amené à chercher le sens caché de l’allégorie, à découvrir tout l’envers de la broderie artificieusement ouvragée. Trop artificieusement ouvragée ! Car c’est le sort des œuvres humaines, lorsqu’elles s’écartent de la saine nature et de la simple vérité : comme des instruments trop compliqués, et par cela même impropres à tout usage, elles intéressent tout au plus à titre de « curiosités ». On suit la réalisation d’une pareille pensée comme on suivrait des combinaisons sur un jeu d’échecs. Encore fort heureux si l’auteur ne s’embrouille pas tout le premier dans ses propres inventions ! Or c’est bien un peu ce qui arrive à Novalis. Voici par exemple Ginnistan. Elle séduit Éros après avoir pris les traits de la Mère. N’insistons pas sur ce qu’il y a de choquant, même pour le simple bon goût, dans une pareille fiction : aussi bien c’est le propre de l’allégorie de torturer et de déformer les choses réelles, pour en faire les simples