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ÉDUCATION

de l’art, où se résument leurs aspirations morales et leurs croyances philosophiques, il a aussi suggéré à Novalis bon nombre de motifs poétiques. Et cependant on le verra, dans la suite, systématiquement ignoré ou dédaigné de la part des jeunes auteurs, Novalis lui-même ne lui témoigne plus qu’une indifférence respectueuse. Deux fois à peine Schiller est nommé dans ses Fragments, et encore pour être humilié devant la nouvelle idole, devant Gœthe. « Schiller dessine trop fortement pour paraître vrai à l’œil, — à la manière de Dürer, non à la manière du Titien ; il idéalise trop pour être naturel dans le sens plus élevé », et ailleurs : » Schiller écrit pour quelques-uns, Gœthe pour beaucoup. » Pendant ses nombreux séjours à Iéna Novalis conserve quelques rapports de politesse avec son maître d’autrefois. Caroline Schlegel juge bon de lui rappeler que ses nouvelles attaches romantiques ne l’obligent pas à rompre des relations plus anciennes.[1] Le grand événement théâtral d’Iéna et de Weimar, les représentations de Wallenstein, le laissent froid. Il ne trouve que quelques paroles dédaigneuses pour l’art dramatique en général. Pendant un séjour à Dresde il se croit obligé de faire une courte apparition dans l’intérieur Kœrner. « J’ai été chez les Kœrner » écrit-il à Guillaume Schlegel, « et j’y ai trouvé toutes choses comme nous avons coutume de le dire entre nous. »[2] Les Kœrner, on le sait, se faisaient gloire d’avoir découvert le grand classique. La réputation de Schiller devenait pour eux presque un point d’honneur familial. « Ils sont capables d’une sorte d’esprit très commune » observe Novalis, « et de quelques observations de détail… Leur éducation se réduit au strict minimum indispensable à tout homme. »[3]

Peut-on parler d’ingratitude littéraire ? Assurément ce fut une des grandes erreurs du romantisme d’avoir renié Schiller et, avec Schiller, les grandes aspirations morales

  1. Voir : Raich. — Novalis Briefwechsel, 1880, p. 149.
  2. Raich. op. cit. p. 44.
  3. Raich. op. cit. p. 49.