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NOVALIS

la poussière et puis me redressa de nouveau. Je lui donnai ma confiance la plus entière, la plus illimitée, dès les premiers instants, et je n’ai jamais eu le moindre soupçon que ma confiance fût précipitée. »[1] On pourrait rapprocher ce récit de celui de Mme de Staël ou encore du jeune Schelling. Le Schiller qui nous est décrit là n’est rien moins que foudroyant. « Je n’y pus tenir longtemps auprès de lui », raconte Schelling. « Il est étrange de voir comme cet illustre écrivain est timide dans la conversation. Il est craintif et baisse les yeux, que peut faire alors son interlocuteur ? Sa timidité rend celui à qui il parle plus timide encore. Le même homme qui, la plume à la main, exerce sur le langage un empire despotique, se trouve dès qu’il ouvre la bouche en peine de la moindre expression… Schiller ne peut rien dire qui ne soit intéressant, mais ce qu’il dit semble lui coûter un effort. On appréhende de le mettre dans cet état ; on ne se sent pas heureux en sa présence. »[2]

S’il faut en croire les lettres du jeune Novalis, écrites sous cette première impression, l’influence de Schiller aurait été sur lui décisive. « Si un jour je produisais des œuvres qui eussent quelque valeur originale et personnelle, si j’accomplissais quelque grande chose où se trahiraient une origine plus haute, une inspiration plus harmonieuse, c’est pour la plus grande part à Schiller que je devrais cette disposition, cette préparation en moi d’une forme plus parfaite. Il a tracé dans mon âme les lignes douces et suaves du Beau et du Bien. »[3] Et de fait Schiller non seulement a fourni aux premiers romantiques quelques-unes de leurs grandes divisions historiques et de leurs définitions philosophiques de l’art, non seulement il leur a inspiré le goût de la poésie philosophique et, sous une forme plus abstraite et plus oratoire, a annoncé un des premiers cette « religion » nouvelle

  1. Voir : Novalis Schriften, Édition Tieck, III, p. 137. les lettres du jeune Novalis.
  2. Voir : Plitt. — Aus Schellings Leben, p. 113.
  3. Novalis Schriften (Édition Tieck), op. cit., III p. 138.