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ÉDUCATION

nées académiques » dans un dévergondage grossier ou tout au moins dans un état de continuelle flânerie romanesque.

Les plus délicats se rejetaient sur les plaisirs d’imagination. À quel point sévit parmi la jeunesse la « théâtromanie », le roman d’Anton Reiser et le Wilhelm Meister du Gœthe nous l’apprennent. L’engoûment pour la littérature prit un caractère non moins épidémique et excessif. Ce que cette génération y cherchait surtout, comme au théâtre, c’était une idée exaltée d’elle-même. Elle voulait « vivre », au moins par l’imagination, tous ses rêves et ainsi faussa peu à peu en elle le ressort de toute sincère et vraie activité. Car son pessimisme et son scepticisme sont des maladies essentiellement littéraires. « Tout chez ces jeunes hommes n’est qu’attitude » dit un récent biographe de Novalis. « Leurs sentiments sont des réminiscences, leurs pensées des citations. Leur caractère est un rôle qu’ils jouent et dont ils s’applaudissent eux-mêmes au 5me acte. C’est, par le plus théâtral des suicides de théâtre — et même avec le décor extérieur d’une pièce de théâtre, — que finit Roquairol. Lovell jongle avec l’idée du suicide. Toute leur manie du suicide, n’est qu’attitude théâtrale, connut aussi leur libertinage, leur scepticisme, les orgies de leur imagination, leur pessimisme, leur analyse dissolvante d’eux-mêmes : tout n’est que théâtre. »[1]

Tel nous apparaît Frédéric Schlegel à Leipzig. Il s’étudiait à jouer dans la vie le personnage de Hamlet et se flattait d’y réussir. Comme William Lovell il jonglait avec l’idée du suicide. Absolument incapable au demeurant d’exécuter une pareille résolution, il prenait plaisir à envenimer son mal imaginaire par une ironie sans cesse retournée sur elle-même, qui était comme la conscience aigüe d’un grand orgueil impuissant. En mépris factice des femmes le jeta avec une fougue passionnée dans les amitiés masculines. Dans cette passion singulière entrait pour une bonne part le désir,

  1. Heilborn, Novalis der Romantiker, 1901, p 32.