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NOVALIS

assez fréquent chez les caractères faibles, de jouer à l’éducateur, au directeur de conscience, ou plus exactement d’être un peu le despote de quelqu’un. Dans la foule des étudiants il avait distingué le jeune Hardenberg. Il crut avoir découvert une âme docile, virginale en dépit de quelques expériences précoces, qu’il pourrait pétrir à sa guise. « Le sort m’a mis entre les mains un jeune homme qui peut tout devenir » annonce-t-il à son frère : « une taille svelte et bien prise, un visage délicat avec des yeux noirs et une expression magnifique lorsqu’il parle avec feu d’une belle chose, l’intelligence la plus vive et la plus ouverte : jamais je n’ai ainsi vu l’éclat de la jeunesse… Sa sensibilité garde une certaine chasteté qui a sa source dans l’âme et non dans l’inexpérience… Il est très gai, très malléable et se prête à toutes les empreintes qu’on lui communique. »[1]

Le nouveau protégé tenait en portefeuille quelques essais poétiques, épanchements naïfs de ses premières sentimentalités, récits de bonnes fortunes imaginaires dans un décor conventionnel de bergeries de bosquets de roses, avec accompagnement de rossignols et avec tous les habituels travestissements mythologiques, chers au XVIIIe siècle. Ces « poésies de jeunesse » ont été exhumées dans l’édition complète et critique, récemment parue. Elles n’ajoutent rien à la gloire du poète et ne nous font pas pénétrer bien profondément dans sa vie intérieure. Ce sont amusements d’écolier. On y retrouve d’abord l’admiration pour les anacréontiques latins et particulièrement pour Horace, que le professeur Jani, humaniste distingué, un des maîtres de Novalis à Eisleben. expliquait à ses élèves avec autant de science que de goût. On y suit aussi à la trace les lectures du jeune homme : en formules stéréotypées et par réminiscences nombreuses se trahit sa prédilection pour le « Goettinger Hainbund », tout particulièrement pour Bürger. Le sujet même de ces petites pièces en donne immédiatement le ton. Voici « l’écu-

  1. Walzel. — Frédéric Schlegel, Briefe an seinen Bruder, Aug. Wilhelm. Berlin, 1890. — p. 36.