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ÉDUCATION

années plus tard. « Je ne puis me rappeler mon éducation historique sans y associer ton souvenir. Enfin l’annonce de la publication de tes « Grecs » m’a extraordinairement ému… Je me rappelais tes fragments. »[1]

Il s’agit de cette longue étude, restée inachevée comme tout ce qu’entreprenait alors Frédéric Schlegel, sur « les Grecs et les Romains », et qui parut en 1797, — mais dont certains fragments et sans doute le plan général, l’introduction et les idées directrices remontaient à une époque plus reculée, C’était du reste un chaos encore informe que ces premières dissertations de Schlegel, où se trouvent confondues, dans une acception parfois singulièrement détournée, la terminologie philosophique de Kant, les grandes divisions et définitions esthétiques de Schiller et les idées de Winckelmann sur « la perfection objective » de l’art grec. En même temps s’y exprime un sentiment très personnel de mécontentement et de malaise dont l’auteur prétendait retrouver la trace dans tout l’art moderne, trop individuel, trop spécialisé, trop artificiel. L’artiste moderne, selon lui, est « comme un égoïste, isolé au milieu de son siècle et de son peuple ». Hamlet, voilà le type qui l’exprime le plus parfaitement, — âme déchirée, en désaccord avec elle-même et avec le monde environnant. Tandis que Schiller, tout en observant les mêmes symptômes, proclamait cependant résolument les droits et la légitimité de cette poésie moderne, individuelle, « sentimentale », et, définissant, l’art antique un art « naïf », manifestait par cela même qu’il répondait à un moment unique de l’histoire et de la civilisation humaines. Frédéric Schlegel au contraire appelait de tous ses vœux une « révolution esthétique », pour ramener cette « organisation » synthétique de l’art grec, où se fondaient tous les intérêts sociaux, moraux, religieux et artistiques de l’humanité. La pensée éminemment romantique d’une sorte de « catholicisme » poétique hantait déjà son esprit et il se croyait dès à présent appelé à l’annoncer aux hommes.

  1. Raich, op. cit., p. 16.