Page:Spenlé - Novalis.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
NOVALIS

Tout au moins eut-il l’incontestable mérite avec son frère, de présenter au public et à ses collaborateurs deux hommes qui eurent sur la nouvelle génération littéraire une action profonde : Gœthe et Fichte. Si le Gœthe de Werther et de Goetz von Berlichingen avait du premier coup touché les fibres les plus intimes de l’âme allemande, il n’en était plus de même du Gœthe classique, dont la pensée s’était mûrie sous le ciel d’Italie, dont l’art s’était saturé de beauté hellénique. Le plus pur chef-d’œuvre du maître, où se mariaient harmonieusement ses deux âmes, germanique et hellénique, Herrmann et Dorothée fut accueilli avec une indifférence générale. Les premiers romantiques, particulièrement les frères Schlegel « découvrirent » Gœthe à nouveau. Puis ce fut Fichte que Frédéric Schlegel tenta d’acclimater sur le Parnasse allemand. « Pour ce qui est de Fichte » lui écrivait Novalis, « tu as raison sans conteste. Je pénètre toujours plus dans ta manière de comprendre la Doctrine de la Science », et il se fait communiquer les cahiers philosophiques de son initiateur. « Je te renvoie avec tous mes remercîments tes philosophica. Ils me sont, devenus très précieux. Je les ai assez bien dans la tête et ils y ont construit des nids très solides », ou encore : « je suis avec le plus grand intérêt tes projets philosophiques… Tes cahiers me hantent l’esprit et, quoique je ne puisse venir à bout des pensées fragmentaires, je communie pourtant très intimement avec la pensée de l’ensemble ».[1]

Ainsi s’était établie une liaison toute littéraire et intellectuelle entre les deux amis. Frédéric Schlegel avait rêvé une intimité sentimentale surtout : mais il subsistait malgré tout un fonds de méfiance dans le cœur de Novalis. Il n’annoncera ses premières fiançailles à son ancien camarade d’université que deux ans après l’évènement. Une page du Journal intime de Novalis porte cette phrase laconique : « Sois sur tes gardes dans tes rapports avec Schlegel. » C’est

  1. Voir Raich, op. cit., pp. 38, 22 et 37.