Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
323
HENRI D’OFTERDINGEN

à toute vaine curiosité. Là, le troubadour romantique, tour à tour implorant, impétueux et pathétique, dans tout l’éclat de la jeunesse et de l’amour. Quelle différence aussi dans la pensée secrète qui anime les deux personnages ! Au milieu des splendeurs d’une fête le chanteur de Gœthe est venu apporter quelques accents héroïques, quelques notes harmonieuses. Mais il refuse la chaîne d’or que le roi lui fait présenter : il est l’hôte de passage, qui vient embellir la joie des autres, en y mêlant quelques divines émotions d’art. Son chant est sa plus douce récompense. Sur quelques paroles de fière indépendance il prend donc congé de ses augustes auditeurs. Tout au contraire l’hymne qu’entonne le troubadour romantique n’est qu’un plaidoyer éloquent et pathétique, une apothéose lyrique de son propre cœur, une glorification passionnée de son propre art. Comme tout paraît calculé en vue de 1’« effet » final ! Comme tout semble appeler à l’avance cette acclamation, qui tout à l’heure s’échappera de toutes les bouches, qui fléchira le cœur du roi, qui absoudra l’amant fortuné, qui enivrera de joie et d’orgueil le poète triomphant ! Nulle part n’apparaît plus saisissant le contraste entre l’art classique et l’art romantique.

Parmi ces entretiens Henri et ses compagnons sont arrivés à un château-fort. Des clameurs belliqueuses emplissent les voûtes gothiques. La Guerre, avec sa farouche poésie et ses ivresses grandioses, va se révéler au jeune poète, la Guerre sous sa forme la plus romantique : la Croisade. « La vraie guerre », dit le poète Klingsohr, « est la guerre de religion : ici le délire humain apparaît sous sa forme la plus parfaite. » Dans la guerre se manifestent les forces démoniaques qui, à certaines heures, soulèvent l’humanité et bouleversent la configuration mondiale. « Beaucoup de guerres, surtout celles provoquées par la haine nationale, appartiennent à cette classe : ce sont de vrais poèmes. C’est ici l’élément familier des héros, de ces nobles figures, qui méritent de faire pendant aux poètes, et qui