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NOVALIS

intellectuelles. La personne même de Jacobi en reproduisait assez fidèlement les traits les plus caractéristiques. Dilettante très courtisé, secrètement vaniteux de la fine qualité de ses émotions, esprit curieux plutôt qu’original, avec des facultés brillantes d’assimilation philosophique, mais sans précision, sans énergie virile dans la pensée, il représentait le mystique de salon, affable, spirituel, choyé par les femmes, apôtre souriant d’une foi indécise. Il était, en même temps que Hamann, un des promoteurs de cette théologie, ou plus exactement de cette philosophie religieuse nouvelle, issue d’un scepticisme raffiné, qui fait assez bon marché de la certitude historique et de la précision philosophique, pour chercher dans la vie trouble et obscure du sentiment des appuis cachés aux croyances chancelantes. Ses romans, Woldemar et Allwill, donnent le tableau de la société cultivée du temps, oisive et sentimentale ; on y respire l’atmosphère tiède et factice de mysticité où s’épanouissaient les « belles âmes ». La pratique piétiste de l’examen de conscience avait donné naissance à tout un surmenage sentimental, à un idéalisme romanesque, qui semble bien être une des formes germaniques et protestantes du bel esprit et de la préciosité. « Notre âme », disait Woldemar, « parvient dans la contemplation d’elle-même à des sentiments ineffables. Elle-même, sa nature intime, son moi merveilleux deviennent et restent, dans chaque personne, pour elle-même l’objet d’une contemplation et d’un jugement intérieur, et elle se transforme par ce jugement en un objet de plaisir ou de déplaisir, d’agrément ou d’aversion, qui de plus est l’objet le plus proche, le plus immédiat, le plus réel, le plus fécond et le plus intéressant de tous. »

C’était surtout par une conception mystique de l’amour et des relations sexuelles que se formulait cette culture esthétique du sentiment. Des relations très « problématiques » s’établissaient entre les belles âmes des deux sexes, sous prétexte d’éducation ou d’édification mutuelles. Le roman de Jacobi en fournit un exemple frappant. Sitôt que les âmes