Page:Spenlé - Novalis.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
NOVALIS

l’imagination plus encore que par les sens. Il y avait en lui beaucoup du jouisseur intellectuel, du sensuel mystique à la manière de Woldemar. Certaines pages de ses écrits portent les traces d’une véritable lascivité amoureuse plutôt que d’une sensualité ardente. La nature surtout semble avoir agi sur lui à la manière d’un excitant aphrodisiaque. « Qui ne sent son cœur tressaillir et exulter de joie » dit un personnage du Disciple à Saïs. « lorsque la vie profonde de la Nature, dans toute sa plénitude, pénètre dans son âme, lorsque ce sentiment exalté pour lequel le langage n’a que les noms d’amour et de volupté, le gagne et l’envahit lentement comme une brume intense et dissolvante, lorsque tout frissonnant d’un doux effroi il se plonge dans les flots pressés de la volupté et qu’il ne surnage que comme un point de vie au milieu de cette immense activité génésique, comme un tourbillon avide et béant au sein du gouffre sans limites. » Ailleurs il note les sensations voluptueuses que lui procure le contact de l’eau.[1] Il a longuement analysé cette impression et les rêveries érotiques qui l’accompagnent dans un passage de Henri d’Ofterdingen. Le héros se trouve transporté en songe, dans une caverne dont les parois ruisselantes sont éclairées par la poussière lumineuse d’un jet d’eau, qui retombe en paillettes de feu au fond d’une immense cuvette. « Une envie irrésistible le prit de se baigner. Il se dévêtit et entra dans la cuvette. Il lui semblait qu’une nuée de crépuscule l’enveloppait. Une sensation céleste se répandit à flots dans son cœur ; avec une volupté pénétrante des pensées sans nombre cherchaient à se confondre en lui ; des images neuves, non encore contemplées, surgissaient et s’entrelaçaient entre elles, se métamorphosaient en formes visibles, et chaque ondulation de l’élément charmeur venait l’effleurer comme une gorge délicate. Le courant paraissait tenir en suspens des formes suaves de jeunes filles qui instantanément prenaient corps au contact du jeune homme.

  1. N. S. II, 2, p. 390. (« Wollust der Wasserberührung » ).