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Page:Spenlé - Novalis.djvu/61

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AMOUR MYSTIQUE

Ivre de volupté et pourtant conscient de chaque contact, il se laissa doucement attirer par le torrent étincelant qui s’engloutissait dans le rocher. »

Une teinture subtile d’érotisme se mêle ainsi sans cesse à la pensée. Des objets primitivement indifférents, des impressions neutres ont une résonance de volupté ou excitent, par un chemin détourné, les émotions sexuelles. « Qu’est-ce que la flamme ? Un embrassement étroit dont le fruit s’égoutte en une rosée voluptueuse ». On voit se produire de véritables confusions dans la vie de l’instinct. Souvent Novalis revient sur cette idée que « le désir sexuel n’est peut-être qu’un appétit déguisé de chair humaine ».[1] Aimer, dit-il, c’est dévorer l’objet aimé, s’en nourrir, se l’assimiler. De là la secrète connexité entre l’amour et la cruauté. « Plus résiste ce qu’on dévore, plus est vif l’éclat de la jouissance. Le viol est la jouissance la plus intense. »[2] Et inversement manger, se nourrir n’est-ce pas une manifestation élémentaire, grossière de l’amour ? Cette singulière idée lui a inspiré un long hymne où il interprète à sa manière le mystère chrétien de la Cène. « Jamais ne s’achève le doux festin ; jamais l’amour ne se rassasie : il ne saurait posséder son objet d’une possession assez intime, assez particulière. Des lèvres toujours plus suaves prennent l’aliment plus profondément et le transforment peu à peu. Plus brûlante se fait la volupté dont les frissons parcourent l’âme, plus altéré, plus affamé devient le cœur : et ainsi la jouissance d’amour se prolonge éternellement. » Dans une autre poésie, qui devait prendre place dans la suite projetée du roman Henri d’Ofterdingen, les morts célèbrent à peu près dans les mêmes termes les voluptés de la déliquescence au sein des éléments. Car c’est là encore une des « idiosyncrasies » les plus caractéristiques du poète, que cette confusion des émotions funèbres et des émotions sexuelles, l’excitation érotique que lui procure l’idée même de la mort. « Nous n’en-

  1. N. S. II, 2, p. 391.
  2. N. S. II, 2, p. 505.