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NOVALIS

tendons partout que les doux murmures des secrètes convoitises », ainsi chantent les Désincarnés, « nos regards plongent dans des regards éternellement heureux ; tout ce que goûtent nos lèvres prend une saveur de lèvres et de baisers ; tout ce que nous touchons se métamorphose en pulpe tiède de fruits balsamiques, en chair suave de gorges délicates, qui viennent s’offrir et s’immolera la folie du désir. Et la convoitise s’enfle et fleurit : elle cherche à enlacer le Bien-aimé, à le recevoir toujours plus profondément au dedans d’elle-même, à ne faire plus qu’une substance avec lui. Plus d’obstacles aux avidités de l’amour : le couple se dévore en de mutuelles étreintes ; l’un de l’autre ils se nourrissent et ne connaissent plus d’autre aliment ».[1]

La volupté, c’est l’aliment mystique qu’aspire avec toutes ses forces de désir cette âme passionnée, l’abîme vertigineux où sa pensée aime à s’égarer et à se perdre. « La fonction proprement voluptueuse ou sympathique », dira-t-il, « est la plus mystique de toutes ; elle a le caractère presque d’un Absolu, car elle tend à l’union totale, au mélange complet ; elle est chimique… C’est Éros qui nous pousse les uns contre les autres. Dans toutes les fonctions, la volupté est au fond… Partout apparaît, par intermittences, une force ou une activité qui, répandue en tous lieux, semble ne se manifester et n’être efficace que lorsque se produisent certaines conditions, certains contacts. Cette force mystique paraît être la force du plaisir et du déplaisir, dont nous croyons éprouver particulièrement les sensations exaltées dans les émotions voluptueuses. »[2] L’amour n’est lui-même qu’une manifestation particulière et très imparfaite, très incomplète encore de cette universelle Volupté. « De même que la femme est l’aliment corporel le plus élevé, qui fait la transition entre le corps et l’âme, pareillement les organes de la génération sont les organes corporels les plus élevés qui prépa-

  1. N. S. I, p. 185-186.
  2. N. S. II, 2, pp. 571 et 576.