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AMOUR MYSTIQUE

le vouloir-vivre individuel. Mais certaines maladies viennent précisément affaiblir cet élément de résistance, de réaction biologique et ainsi peuvent devenir, pour le jouisseur mystique, une source inépuisable d’intuitions et de voluptés ; elles lui procurent une « sensation sublimée de la vie ».

Tel est aussi le sens profond que prend l’amour chez de pareils tempéraments. « Il ne faut jamais s’avouer qu’on s’aime soi-même » lisons-nous dans un fragment de Novalis. « Le secret de cet aveu est le principe vivifiant du seul amour vrai et durable. Le premier baiser dans ce rapport intime est le point de départ de la philosophie, le début d’un monde nouveau, le commencement d’une ère absolue, d’une alliance avec soi-même, qui ne fait que croître indéfiniment. »[1] Alors naît la convoitise des voluptés d’âme, de celles que la réflexion aiguise, que l’analyse complique, que la souffrance même avive d’un aiguillon subtil et détourné. Mais le moi ne peut se connaître directement lui-même : il a besoin d’autre chose, d’une image, d’une idée passionnante, d’un « non-moi » idéal pour s’y réfléchir, — pour s’exalter et s’adorer en eux. Le rôle de l’amour terrestre c’est précisément d’organiser et d’intensifier ces facultés imaginatives et morales. Le ton de la vie se trouve par lui rehaussé ; les impressions les plus fugitives, les plus neutres, réveillent des résonances imprévues et le monde, vu à travers l’allégorisation spontanée et la transfiguration qu’opère en lui l’illusion amoureuse, se révèle extraordinairement riche et expressif. En même temps l’individu a conscience que cette source de poésie est au-dedans de lui, qu’il provoque lui-même cette prestigieuse féerie. Le monde lui renvoie sa propre image, reflétée à l’infini. Les êtres et les choses n’existent qu’en vue des analogies secrètes qu’il y pressent avec son propre rêve et qui captivent tout son intérêt, toute son attention. Et cet état de monoïdéisme affectif, cette exaltation lyrique de la personnalité, est désormais le but, — non la possession de l’objet aimé, qui tout au contraire risquerait de tarir les

  1. N. S. II, 1, p. 299.