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Page:Spenlé - Novalis.djvu/86

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NOVALIS

déjà vu avec quelle extraordinaire fixité une réminiscence littéraire pouvait s’implanter dans ce cerveau suggestionnable : il est fort vraisemblable que le souvenir de « l’homme haut », particulièrement l’image d’Emmanuel Dehore, continuant à agir à la manière d’une suggestion littéraire, aient pour ainsi dire pris corps dans son esprit et contribué pour une large part à modifier la crise morale, à laquelle nous fait assister son Journal intime.

Ce journal, commencé quelques semaines après la mort de Sophie, le 18 avril 1797, s’arrête brusquement dans les premiers jours de juillet de la même année. Les événements sont datés en partant du jour funèbre : c’était là une habitude fréquente chez certains piétistes, que de faire recommencer leur vie à partir d’un jour déterminé, généralement celui de leur conversion, de leur « nouvelle naissance ». Tout d’abord Novalis traverse une période de stupeur, d’anxiété indéfinie, de « froid glacial ». Il assiste, très clairvoyant, à ce bouleversement intérieur. « Si seulement je pouvais pleurer, écrit-il à Frédéric Schlegel ; mais je suis dans une indifférence mate et angoissante, qui me paralyse toutes les fibres. Il y a en moi un désespoir dont je ne prévois pas le terme. » Rentré dans sa famille pour quelques semaines, il note, dans une lettre à Just, que le cercle des intérêts et des idées se trouve brusquement resserré. « Sans doute c’en est fait pour cette sphère de l’intérêt que je prends aux choses humaines. La froide obligation occupe la place de l’amour. Mes affaires prennent un caractère purement officiel. Et puis tout me paraît beaucoup trop bruyant. Je veux toujours plus me retirer. » — La mort de son frère Érasme, survenue peu de temps après, loin de l’affecter douloureusement, produit au contraire « un effet bienfaisant » sur lui, parce qu’elle fortifie encore le désir naissant d’un détachement complet.

Mais à cette courte période de stupeur succèdent bientôt des symptômes tout opposés d’exaltation fiévreuse et d’imagination délirante. Il faut reconnaître là, avons-nous vu, le rythme normal des tempéraments mystiques. « Journelle-