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Page:Spenlé - Novalis.djvu/87

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

ment le calme et la force renaissent en moi », écrit-il quelques semaines plus tard, « tout me réussit à souhait dans la douce tranquillité qui m’environne. Mes forces sont plutôt accrues que diminuées. J’ai par instants l’impression que cela devait raisonnablement arriver ainsi… Je sens déjà en moi une source nouvelle de jouissances, les couleurs ressortent plus vives sur le fond obscur, le matin approche, c’est ce que m’annoncent les rêves angoissants. »[1] La douleur ne mord pas sur cette âme profondément quiétiste ; comme l’amour, elle passionne simplement l’imagination. L’idée-fixe mystique, c’est le secret ressort d’un pareil tempérament ; ce fut aussi le détour que prirent chez lui les puissances de guérison de la nature. « Une force élémentaire et puissante s’est éveillée en moi », écrivait-il à Frédéric Sehlegel. « Mon amour est devenu une flamme qui consume peu à peu toute impureté terrestre », et il reconnaît dans la mort de Sophie « une clé qui ouvre tout, une étape miraculeusement nécessaire. »[2] De même dans une lettre citée plus haut il sent « combien cela devait raisonnablement arriver ainsi » et il ajoute : « Je suis entièrement satisfait ; — mon caractère a pris de l’unité et de la consistance. »

Dans les premières pages du Journal, on voit se dessiner peu à peu la pensée délirante qui, en se développant toujours plus, servira comme de dérivatif aux impulsions destructives. Cette idée qui avait subitement germé dans son cerveau — » — « et moi aussi je vais partir bientôt » — s’y enracine de plus en plus avec une singulière ténacité. Les symptômes se succèdent dans le même ordre que lors de la « vocation » militaire. Ce sont d’abord, avons-nous vu, des insomnies, des cauchemars, des « rêves angoissants », toute une fièvre morale. « Le matin approche », écrit-il, « c’est ce que m’annoncent les rêves angoissants. Avec quel ravissement je lui raconterai, quand je me réveillerai et me retrouverai dans le monde antique et primi-

  1. Novalis Schriften, Édition Tieck, II, p. 294.
  2. Raich, op. cit., p. 30.