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notes

présent. En adoptant la leçon fondée sur la traduction hollandaise de Gluzemakev, on aurait : nous appéterons un mal présent moindre qui est cause d’un bien futur plus grand (Saisset supprime ces deux derniers mots) : outre que la symétrie fait ainsi défaut dans l’énoncé, le corollaire qui suit devient dans sa première partie une redite inutile.


Propositions LXVII à LXXIII. — Les sept dernières propositions de la quatrième partie achèvent de faire connaître, l’homme libre tel que Spinoza le conçoit, c’est-à-dire possédant la fermeté d’âme et la générosité ; il a l’amour de la vie, de sa vie, et craint si peu la mort qu’il n’y pense même pas ; il sait à la fois éviter les périls et les affronter courageusement ; n’accepte qu’avec beaucoup de prudence les bienfaits des ignorants, ne ment jamais ; est plus libre dans la cité, sous l’empire de la loi commune, reconnue nécessaire, qu’il ne serait dans la solitude.


Proposition LXVII. — Spinoza prend le contre-pied de parole si souvent reproduite de Platon :

οἱ ὀρθῶς φιλοσοφοῦντες ἀποθνῄσκειν μελετῶσι,

Sa sagesse est une méditation, une justification de la vie (voir plus haut la note relative à la Prop. 50) ; il ne s’agira point dans la cinquième Partie de nous détacher du corps, ce qui ne peut avoir aucun sens, puisque l’âme est l’idée du corps, mais de concevoir clairement l’éternité de notre essence, laquelle pose dans la durée l’existence du corps propre. Certes la mort n’est pas à craindre ; c’est une partie de notre être non moins essentielle que le vivre, comme dit Montaigne. Non seulement donc on doit, suivant le précepte cartésien, aimer la vie sans craindre la mort, mais le véritable amour de l’être enveloppe le consentement à la mort naturelle, bien différent du suicide.


Proposition LXVII et Scolie. — Pour que l’homme naquît libre, il faudrait que, contrairement à tout ce qui a été exposé, il n’y eût en lui aucune perception incomplète ou inutile, aucune irrationalité ou passivité ; il ne serait plus dès lors, comme l’affirme la Proposition 4, une partie de la nature inintelligible quand on la considère isolément, et condamnée à périr. Si l’homme naissait libre, il ne tomberait jamais dans la servitude ; la chute est inconcevable. On peut, toutefois, s’expliquer l’histoire du premier homme, contée par Moïse, en ayant égard à son intention qui était de plier à l’obéissance un peuple sourd à la voix de la raison, et l’on arrive même à donner à cette fable un sens raisonnable. Dire que primitivement Dieu a créé toutes