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QU’EST-CE QUE DIEU ?

elle-même, et surtout une substance telle que nous avons dite, c’est-à-dire qui existerait par elle-même. Donc elle doit avoir été limitée par sa cause, qui est Dieu. Or, si c’est par sa cause, c’est donc que cette cause ou n’a pas pu, ou n’a pas voulu donner davantage ; mais si elle ne l’a pas pu, cela dépose contre sa puissance ; si elle n’a pas voulu, le pouvant, cela semble indiquer de la malveillance ; ce qui est impossible en Dieu, qui est toute bonté et toute plénitude[1].

La seconde proposition, qu’il n’existe pas deux substances égales, se démontre en disant que toute substance est parfaite en son genre ; s’il y avait deux substances égales, il serait nécessaire que l’une déterminât l’autre ; celle-ci ne serait donc pas infinie, comme nous l’avons précédemment démontré.

Quant au troisième point, à savoir qu’une substance ne peut en produire une autre, si quelqu’un soutenait le contraire, nous demanderions : la cause qui produirait cette substance aurait-elle les mêmes attributs qu’elle, ou non ? Le second est impossible, car

  1. Dire que la chose est telle (c’est-à-dire finie), par la nature même, c’est ne rien dire, car une chose ne peut avoir de nature avant d’exister. Mais, direz-vous, on peut bien voir ce qui appartient à la nature d’une chose : Oui, quant à ce qui concerne l’existence, mais non quant à ce qui concerne l’essence. Et ici il y a une différence entre créer et engendrer. Créer, c’est poser une chose à la fois par l’existence et par l’essence ; engendrer c’est seulement faire qu’une chose naisse, quant à l’existence c’est pourquoi aujourd’hui, dans la nature, il n’y a que génération, et non création. Si Dieu crée, il crée la nature de la chose avec la chose même. Il serait donc un Dieu jaloux, si, ayant la puissance, mais non la volonté, il eût créé la chose de telle sorte qu’elle ne fût pas en harmonie avec sa cause créatrice, ni en essence, ni en existence. Au reste pour ce que nous appelons ici créer, on ne peut pas dire proprement qu’un tel acte ait jamais eu lieu, et nous ne nous servons ici de cette distinction que pour montrer ce qu’on en peut dire. (MS.)