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PREMIÈRE PARTIE.

je crains déjà même que vous n’en soyez convaincue par ce que je vais vous dire.

Thérèse était hier plus tourmentée que jamais : on a commencé à mettre dans la tête de M. d’Ervins que les opinions politiques de M. de Serbellane étaient très-dangereuses, et qu’il ne convenait pas à un défenseur de la cour de voir souvent un tel homme. Il le reçoit donc beaucoup plus froidement et ne l’invite presque plus ; Thérèse en est au désespoir, et voulait m’engager à avoir chez moi tous les jours M. de Serbellane avec elle. Je m’y suis refusée ; je ne puis protéger une liaison contraire à ses devoirs : je lui donnerai tous les soins qui peuvent consoler son cœur ; mais si les circonstances la ramènent dans la route de la morale, je ne repousserai point le secours que la Providence lui donne. Elle a écouté mon refus avec douceur, en me rappelant seulement la promesse que je lui avais faite si M. de Serbellane était obligé de partir ; je l’ai confirmée, cette promesse ; j’avais quelque embarras de m’être montrée si sévère : hélas ! en ai-je encore le droit ? Thérèse se livra bientôt après à me peindre tous les sentiments de douleur qui l’agitaient : elle ne savait pas combien elle me faisait mal ; je lui disais à voix basse quelques mots de calme et de raison, mais j’étais prête à me jeter dans ses bras, à confondre ma douleur avec la sienne, à me livrer avec elle à l’expression du sentiment dont je voulais la défendre. Je me retins cependant, je le devais ; il faut que je la soutienne encore de ma main mal assurée.

Cet après-midi, M. de Serbellane est venu me voir ; il m’a parlé de Thérèse, et ce n’est jamais sans attendrissement que je retrouve en lui le touchant mélange d’une protection fraternelle et de la délicatesse de l’amour. Il avait encore quelques détails essentiels à me dire ; l’heure me pressait pour me rendre au concert que donne madame de Vernon ; il me proposa de m’accompagner. Il m’est arrivé de faire plusieurs fois des visites avec M. de Serbellane ; vous savez que je ne consens point à me gêner pour ces prétendues convenances de société auxquelles on s’astreint si facilement quand on a véritablement intérêt à dissimuler sa conduite ; mais il me vint dans l’esprit que je pourrais déplaire à Léonce en arrivant avec un jeune, homme, et j’hésitais à répondre. M. de Serbellane le remarqua, et me dit : « Est-ce que vous ne voulez pas que j’aille avec vous ? »

J’étais honteuse de mon embarras ; je ne savais que faire de cette apparence de pruderie qui convient si mal à un caractère naturel ; et ne pouvant ni dire la vérité, ni me résoudre à