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PREMIÈRE PARTIE.

de m’approcher d’elle ; je remarquai seulement qu’elle cherchait quelqu’un encore, quoique tout le monde se fût empressé de l’entourer. Elle était vêtue d’une simple robe blanche, et ses beaux cheveux étaient rattachés ensemble sans aucun ornement, mais avec une grâce et une variété tout à fait inimitables. Ah ! qu’en la regardant j’étais ingrat pour la parure de Mathilde ! c’était celle de Delphine qu’il fallait choisir. Que me font les souvenirs de l’Espagne ? Je ne me rappelle rien, que depuis le jour où j’ai vu madame d’Albémar.

Elle me reconnut dans l’embrasure d’une fenêtre, où j’avais été me placer pour la regarder. Elle eut un mouvement de joie que je ne perdis point ; bientôt après elle aperçut Mathilde, et son costume la frappa tellement, qu’elle resta debout devant elle, rêveuse, distraite, et sans lui parler. Une jeune et jolie Italienne, qu’on nomme madame d’Ervins, aborda Delphine et la pria de la suivre dans le salon à côté. Delphine hésitait, et, j’en suis sûr, pour me parler ; cependant madame d’Ervins eut l’air affligé de sa résistance, et Delphine n’hésita plus.

Cet entretien avec madame d’Ervins fut assez long, et je le souffrais impatiemment, lorsque Delphine revint à moi, et me dit : « Il est peut-être bien ridicule de vous rendre compte de mes actions sans savoir si vous vous y intéressez ; enfin, dussiez-vous trouver cette démarche imprudente, vous penserez de mon caractère ce que vous en pensez peut-être déjà, mais vous ne concevrez pas du moins sur moi des soupçons injustes. Un intérêt qu’il m’est interdit de vous confier me force à causer quelques instants seule avec M. de Serbellane : cet intérêt est le plus étranger du monde à mes affections personnelles ; je connaîtrais bien mal Léonce s’il pouvait se méprendre à l’accent de la vérité, et si je n’étais pas sûre de le convaincre quand j’atteste son estime pour moi de la sincérité de mes paroles. » La dignité et la simplicité de ce discours me firent une impression profonde. Ah ! Delphine ! quelle serait votre perfidie si vous faisiez servir au mensonge tant de charmes qui ne semblent créés que pour rendre plus aimables encore les premiers mouvements, les affections involontaires, pour réunir enfin dans une même femme les grâces élégantes du monde à toute la simplicité des sentiments naturels !

Quand la conversation de madame d’Albémar avec M. de Serbellane fut terminée, elle revint dans le bal ; et M. d’Orsan, ce neveu de madame du Marset, qui a toujours besoin d’occuper de ses talents parce qu’ils lui tiennent lieu d’esprit, pria Delphine ! de danser une polonaise qu’un Russe leur avait apprise