à tous les deux, et dont on était très-curieux dans le bal. Delphine fut comme forcée de céder à son importunité, mais il y avait quelque chose de bien aimable dans les regards qu’elle m’adressa ; elle se plaignait à moi de l’ennui que lui causait M. d’Orsan : notre intelligence s’était établie d’elle-même ; son sourire m’associait à ses observations doucement malicieuses.
Les hommes et les femmes montèrent sur les bancs pour voir danser Delphine ; je sentis mon cœur battre avec une grande violence quand tous les yeux se tournèrent sur elle : je souffrais de l’accord même de toutes ces pensées avec la mienne ; j’eusse été plus heureux si je l’avais regardée seul.
Jamais la grâce et la beauté n’ont produit sur une assemblée nombreuse un effet plus extraordinaire ; cette danse étrangère a un charme dont rien de ce que nous avons vu ne peut donner l’idée : c’est un mélange d’indolence et de vivacité, de mélancolie et de gaieté tout à fait asiatique. Quelquefois, quand l’air devenait plus doux, Delphine marchait quelques pas la tête penchée, les bras croisés, comme si quelques souvenirs, quelques regrets étaient venus se mêler soudain à tout l’éclat d’une fête ; mais bientôt, reprenant la danse vive et légère, elle s’entourait d’un châle indien, qui, dessinant sa taille et retombant avec ses longs cheveux, faisait de toute sa personne un tableau ravissant.
Cette danse expressive et pour ainsi dire inspirée exerce sur l’imagination un grand pouvoir ; elle vous retrace les idées et les sensations poétiques que, sous le ciel de l’Orient, les plus beaux vers peuvent à peine décrire.
Quand Delphine eut cessé de danser, de si vifs applaudissements se firent entendre, qu’on put croire pour un moment tous les hommes amoureux et toutes les femmes subjuguées.
Quoique je sois encore faible et qu’on m’ait défendu tout exercice qui pourrait enflammer le sang, je ne sus pas résister au désir d, danser une anglaise, avec Delphine : il s’en formait une de toute la longueur de la galerie ; je demandai à madame d’Albémar de la descendre avec moi. « Le pouvez-vous, me répondit-elle, sans risquer de vous faire mal ? — Ne craignez rien pour moi, lui répondis-je ; je tiendrai votre main. » La danse commença, et plusieurs fois mes bras serrèrent cette taille souple et légère qui enchantait mes regards ; une fois, en tournant avec Delphine, je sentis son cœur battre sous ma main ; ce cœur, que toutes les puissances divines ont doué, s’animait-il pour moi d’une émotion plus tendre ?
J’étais si heureux, si transporté, que je voulus recommencer