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PREMIÈRE PARTIE.

main de madame de Vernon, les larmes aux yeux, et je me promis de la voir demain, pour ne plus conserver un secret qui me pèse ; vous saurez donc demain, ma Louise, ce qu’il doit arriver de moi.

LETTRE XXX. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Ce 4 juillet.

J’ai passé un jour très-agité, ma chère Louise, quoique je n’aie pu parvenir encore à parler à madame de Vernon. Il a eu des moments doux, ce jour, mais il m’a laissé de cruelles inquiétudes. En m’éveillant, j’écrivis à madame de Vernon pour lui demander de me recevoir seule à l’heure de son déjeuner ; et, sans lui dire précisément le sujet dont je voulais lui parler, il me semble que je l’indiquais assez clairement. Elle fit attendre mon domestique deux heures, et me le renvoya enfin avec un billet, dans lequel elle s’excusait de ne pas pouvoir accepter mon offre, et finissait par ces mots remarquables : Au reste, ma chère Delphine, je lis dans votre cœur aussi bien que vous-même ; mais je ne crois pas que ce soit encore le moment de nous parler.

J’ai réfléchi longtemps sur cette phrase, et je ne la comprends pas bien encore. Pourquoi veut-elle éviter cet entretien ? Elle m’a dit elle-même, il y a deux jours, qu’elle n’avait point eu, jusqu’à présent, de conversation avec Léonce relativement au projet du mariage ; aurait-elle deviné mon sentiment pour lui ? Serait-elle assez généreuse, assez sensible pour vouloir rompre cet hymen à cause de moi, et sans m’en parler ? Combien j’aurais à rougir d’une si noble conduite ! Qu’aurais-je fait pour mériter un si grand sacrifice ? Mais si elle en avait l’idée, comment exposerait-elle Mathilde à voir tous les jours Léonce ? Enfin, dans ce doute insupportable, je résolus d’aller chez elle, et de la forcer à m’écouter.

Qu’avais-je à lui dire cependant ? Que j’aimais Léonce, que je voulais m’opposer au bonheur de sa fille, traverser les projets que nous avions formés ensemble ! Ah ! ma Louise, vous donnez trop d’encouragements à ma faiblesse ; au moins je ne me livrerai point à l’espérance avant que madame de Vernon m’ait entendue, ait décidé de mon sort.

M. de Serbellane arriva chez moi comme j’allais sortir : le changement de son visage me fit de la peine ; je vis bien qu’il