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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/132

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PREMIÈRE PARTIE.

qui me concernait, elle parut se consoler par l’espérance de mon bonheur. Je n’avais point d’expressions assez vives pour lui témoigner ma reconnaissance ; je lui confiai mes craintes sur l’éclat qui venait de se passer ; je lui avouai que je redoutais l’impression qu’il pouvait faire sur Léonce. Elle m’écouta avec la plus grande attention, et me dit, après y avoir beaucoup pensé : « Il faut me charger de lui parler à son arrivée, avant qu’il ait appris tout ce qu’on ne manquera pas de dire contre vous. Il sait que je m’entends mieux qu’une autre à conjurer ces orages d’un jour ; je le tranquilliserai. — Quoi ! lui dis-je, vous me défendrez auprès de lui avec ce talent sans égal que je vous ai vu quelquefois ? — En doutez-vous ? » me répondit-elle. Son accent me pénétra.

« Je veux lui écrire, lui dis-je ; vous lui remettrez ma lettre. — Pourquoi lui écrire ? reprit-elle ; vos chevaux sont prêts pour partir, la nuit est déjà venue ; vous n’auriez pas le temps de raconter toute cette histoire. — J’éprouve de la répugnance, lui répondis-je, à hasarder dans une lettre le secret de mon amie ; mais je manderai seulement à Léonce que je vous ai tout confié, qu’il peut tout savoir de vous ; et, s’il vous témoigne le désir de venir à Bellerive, vous voudrez bien lui dire que je l’y recevrai. — Oui, reprit-elle vivement ; c’est mieux comme cela ; vous avez raison.»

Je pris la plume et je sentis une sorte de gêne en écrivant à Léonce en présence de madame de Vernon : mon billet fut plus court et plus froid que je ne l’aurais voulu ; tel qu’il était, je le remis à madame de Vernon. Elle le lut attentivement, le cacheta, et me dit qu’il était à merveille, et que j’y conservais la dignité qui me convenait. C’était à elle, ajouta-t-elle, à suppléer à ce que je ne disais pas ; elle me rassura sur ce que je redoutais ; elle me parut convaincue qu’elle me justifierait entièrement auprès de Léonce, elle en prit presque l’engagement ; et, se plaisant à me raconter ce qu’elle lui dirait, elle me parla de moi, sous cette forme indirecte, avec tant de grâce, de charme et même d’adresse, que je bénis le ciel d’avoir eu l’idée de lui confier ma défense. Non, il n’existe point de femme au monde qui sache faire valoir aussi habilement ceux qu’elle aime. Elle seule connaît assez bien le monde pour rassurer Léonce sur l’éclat que peut avoir le funeste événement auquel mon nom est mêlé. Un sentiment indomptable d’amour et de fierté me rendrait impossible de m’excuser auprès de lui, si son premier mouvement ne m’était pas favorable.

Je finis en recommandant à madame de Vernon de veiller