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PREMIÈRE PARTIE.

Lisez cette lettre : je suis parvenue à vous la copier ; mais il faut que j’en conserve l’original toujours sous mes yeux ; si je ne la voyais pas, je n’y croirais plus. J’irais trouver Léonce, j’irais lui dire que je l’aime encore ; et de ma vie je ne dois le voir ni lui parler.

MADAME DE VERNON À MADAME D’ALBÉMAR.
Ce 10 juillet.

La peine que je vais vous causer, ma chère Delphine, m’est extrêmement douloureuse. J’ai remis votre billet à Léonce ; je lui ai parlé avec la plus grande vivacité, mais il était déjà tellement prévenu par le bruit qu’a fait cette malheureuse aventure, qu’il m’a été impossible de le ramener : il prétend que vos caractères ne se conviennent point ; que vous l’offenseriez sans cesse dans ce qu’il a de plus cher au monde, le respect pour l’opinion, et que vous vous rendriez malheureux mutuellement. Il avait, d’ailleurs, reçu une lettre de sa mère, qui s’opposait formellement à ce qu’il vous épousât, et le sommait de remplir ses engagements avec ma fille.

J’ai voulu lui rendre à cet égard toute sa liberté, mais il l’a refusée ; et comme il était décidé à ne point s’unir avec vous, il m’a paru naturel de revenir à nos anciens projets. Le contrat de Mathilde et de Léonce a donc été signé aujourd’hui, et après-demain, à six heures du soir, ils se marient : je voudrais vous voir avant cet instant si solennel pour moi ; venez demain à Paris, et j’irai chez vous, Adieu, je suis bien affectée de votre chagrin.

Sophie de Vernon.

Cette lettre, qui m’est parvenue par la poste, devait, d’après la date, m’arriver avant-hier : est-ce la fatalité, ou madame de Vernon voulait-elle s’épargner mes plaintes ? Oh ! j’en suis sûre, elle a froidement servi ma cause ; je me suis confiée dans son amitié pour moi, et j’avais tort : son affection pour sa fille a sans doute, affaibli toutes ses expressions en ma faveur. Mais Léonce ! juste ciel ! Léonce devait-il avoir besoin qu’on me défendit ? La vérité ne lui suffisait-elle pas ?

Ce matin, je m’éveillais aux espérances des plus tendres affections du cœur : la nature me semblait la même ; je pensais, j’aimais, j’étais moi ; et il se préparait à conduire une