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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/162

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DEUXIÈME PARTIE.

Elle fut si parfaitement aimable pendant la route, qu’elle suspendit un moment l’amertume de mes chagrins. La finesse de son esprit, la délicatesse de ses expressions, un air de douceur et de négligence, qui obtient tout sans rien demander ; ce talent de mettre son âme tellement en harmonie avec la vôtre que vous croyez sentir avec elle, en même temps qu’elle, tout ce que son esprit développe en vous ; ces avantages, qui n’appartiennent qu’à elle, ne peuvent jamais perdre entièrement leur ascendant. Il me semble impossible, quand je vois madame de Vernon, de ne pas me confier à son amitié ; et cependant, dès que je suis loin d’elle, le doute me ressaisit de nouveau. Que le cœur humain est bizarre ! on a des sentiments que l’on cherche à se justifier, parce qu’on a toujours en soi quelque chose qui les blâme ; et l’on cède à de certains agréments, à de certains esprits, avec une sorte de crainte qui ajoute peut-être encore à l’attrait qu’ils inspirent et qu’on voudrait combattre. Ce matin, comme je me levais, ayant passé presque toute la nuit à réfléchir sur l’heureux et doux asile de Cernay, je reçus la lettre que madame de Lebensei m’avait promis de m’écrire : la voici ; jugez, Louise, de ce que j’ai dû souffrir en la lisant :

MADAME DE LEBENSEI À MADAME D’ALBÉMAR.

Parmi les sacrifices qui me sont imposés, madame, le seul que j’aurais de la peine à supporter, ce serait de vous avoir connue, et de ne pas chercher à vous prouver que je ne mérite point l’injustice dont on a voulu me rendre victime. Mettez quelque prix à mes efforts pour obtenir votre approbation ; car jusqu’à ce jour, satisfaite de mon bonheur et fière de mon choix, je n’ai pas fait une démarche pour expliquer ma conduite.

En prenant la résolution de faire divorce avec mon premier mari, et d’épouser, quelques années après, M. de Lebensei, j’ai parfaitement senti que je me perdais dans le monde, et j’ai formé dès cet instant le dessein de n’y jamais reparaître. Lutter contre l’opinion, au milieu de la société, est le plus grand supplice dont je puisse me faire idée. Il faut être, ou bien audacieuse, ou bien humble, pour s’y exposer. Je n’étais ni l’une ni l’autre, et je compris très-vite qu’une femme qui ne se soumet pas aux préjugés reçus, doit vivre dans la retraite, pour conserver son repos et sa dignité ; mais il y a une grande différence entre ce qui est mal en soi et ce qui ne l’est qu’aux yeux