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DEUXIÈME PARTIE.

j’aimais M. de Serbellane, lui qui devait savoir l’histoire de madame d’Ervins. « Aussi, me répondit-elle, ne le croit-il pas. Mais vous n’avez pas l’idée de son caractère, et de l’irritation qu’il éprouve sur tout ce qui vous regarde. » Cette réponse ne me satisfit pas, et je regardai madame de Vernon avec étonnement : je ne sais ce qui se passa dans son esprit alors ; mais elle se tut pendant quelques instants, et reprit ensuite d’un ton ferme qui me fit rougir des pensées que j’avais eues, et ne me prouva que trop combien elles étaient fausses. »

« Je pénètre, me dit madame de Vernon, l’injuste défiance que vous avez contre moi, je ne puis la supporter, il faut que tout soit éclairci ; je forcerai Léonce, malgré les motifs qu’il pourrait m’opposer, à vous expliquer lui-même les raisons qui l’ont déterminé à ne pas s’unir à vous. Je fais peut-être une démarche contraire à mon devoir de mère, en vous rapprochant du mari de ma fille, car certainement il ne pourra jamais vous voir sans émotion, quelle que soit son opinion sur votre conduite ; mais ce qu’il m’est impossible de tolérer, c’est votre défiance, et pour qu’elle finisse, je vais écrire dès demain à Léonce que je le prie d’avoir un entretien avec vous. » Jugez, ma sœur, de l’effroi qu’un tel dessein dut me causer ; je conjurai madame de Vernon d’y renoncer ; elle me quitta sans vouloir me dire ce qu’elle ferait ; elle était blessée, je n’en pus obtenir un seul mot ; mais je pars à l’instant même pour passer deux jours à Cernay chez madame de Lebensei ; si madame de Vernon, malgré mes instances, me ménage assez peu pour demander à Léonce de me voir, au moins il saura que je n’ai point consenti à cette humiliation ; il ne me trouvera point chez moi à Paris, ni à Bellerive.

LETTRE IX. — MADAME DE VERNON À LÉONCE..

Après tout ce que je vous ai dit, après tout ce qui s’est passé, votre agitation, en parlant hier matin à madame d’Albémar, l’a fort étonnée, mon cher Léonce ! elle voudrait ne point partir sans que vous fussiez en bonne amitié l’un avec l’autre ; elle pense avec raison qu’étant devenus proches parents par votre mariage avec ma fille, vous ne devez pas rester brouillés ; je désirerais donc que vous vous rencontrassiez tous les deux chez moi demain soir ; le voulez-vous ?