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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/176

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DEUXIÈME PARTIE.

ment de partir, et je ne sais par quelle inconséquence du cœur, quoique je ne fusse pas venu dans l’intention de la voir, je ne supportai pas l’idée que cela me serait impossible. Sans projet ni réflexion, j’avance, et je crie au cocher : « — Reculez ! — J’attends madame, me répondit-il. — Reculez ! » lui dis-je. Et je sautai en bas de mon cheval avec une action si véhémente, qu’il m’obéit de frayeur. Je fus honteux de ma folle colère, quand je me trouvai seul au milieu de la cour, examiné par tous les domestiques qui y étaient. Celui de madame d’Albémar, se ressouvenant du temps où sa maîtresse avait du plaisir à me voir, me dit qu’elle était dans le jardin ; j’y entrai par la porte de la cour, toujours dans le même égarement : j’étais dans une maison étrangère, je n’y connaissais personne ; mais j’allais où elle était, comme un malheureux entraîné par une force surnaturelle. Il était neuf heures du soir, le ciel était parfaitement serein, et la beauté de la nuit aurait calmé tout autre cœur que le mien ; mais, dans mon agitation, je ne pouvais éprouver aucune impression douce. Je la cherchais, et mes yeux repoussaient tout ce qui n’était pas elle. J’aperçus d’une des hauteurs du jardin, à travers l’ombre des arbres, cette charmante figure que je ne puis méconnaître ; elle était appuyée sur un monument qu’elle semblait considérer avec attention ; une petite fille à ses pieds, habillée de noir, la tirait par sa robe pour la rappeler à elle. Je m’approchai sans me montrer. Delphine levait ses beaux yeux vers le ciel, et je crus la voir pâle et tremblante, telle que son image m’était apparue à l’église. Elle priait, car toute l’expression de son visage peignait l’enthousiasme de l’inspiration. Le vent venait de son côté, il agitait les plis de sa robe avant d’arriver jusqu’à moi ; en respirant cet air, je croyais m’enivrer d’elle, il m’apportait un souffle divin. Je restai quelques instants dans cette situation : depuis un mois, mon cœur oppressé n’avait pas cessé de me faire mal ; je le sentais alors battre avec moins de peine, j’y pouvais poser la main sans douleur. Je serais resté longtemps dans cet état, si je n’avais pas vu Delphine sortir du bosquet, pour lire, aux rayons de la lune, une lettre qu’elle tenait entre ses mains : il me vint dans l’esprit que c’était celle que j’avais écrite à madame de Vernon, et que les signes de douleur que je remarquais sur le visage de Delphine venaient peut-être de la peine que je lui avais causée. Je ne pus résister à cette idée ; je m’approchai précipitamment de madame d’Albémar ; elle se retourna, tressaillit, et prête à tomber, elle s’appuya sur un arbre. Je reconnus ma lettre qu’elle regardait encore ; j’allais m’en saisir pour la déchirer,